Le blanchiment dans le secteur de l’immobilier au Sénégal : Entretien avec Mbaye Sène, Président ANAIS

Par La rédaction
La rédaction

MIS : Nous avons constaté ces dernières années que les agences immobilières sont annuellement conviées à des réunions du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d’argent dans le marché de l’immobilier. Bien que l’agence soit le dernier maillon de la chaine immobilière, qu’est-ce qui explique la présence des différentes associations d’agences dans le cadre de cette sensibilisation ?

MS : Effectivement, depuis quelques années, nous participons régulièrement à des réunions au niveau national mais aussi au niveau sous régional sur la lancinante question de la Lutte contre le Blanchiment de Capitaux, le Financement du Terrorisme et de la Prolifération des Armes de Destruction Massive LBC/FT/PADM.

Comme vous le savez, le Sénégal est inscrit sur liste grise, c’est-à-dire que le nom de notre pays figure sur la liste des juridictions qui sont entrées dans le processus d'examen de l'ICRG. Aussi, le pays s’est-il engagé auprès du GAFI à mettre en œuvre un plan d’actions entre février 2021 et septembre 2022, pour renforcer son dispositif de LBC/FT/PADM.

Dans ce contexte, il faut noter que le secteur immobilier est considéré comme un secteur à haut risque dans le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

C’est cela qui explique notre participation à plusieurs sessions de formations qui ont été organisées par la CENTIF et la GIZ (partenaire technique) au profit des agences immobilières qui sont des assujettis mais aussi au profit des organes de contrôle et de supervision.

Pour preuve, nous avons participé à 5 sessions de formation en 2021, 5 sessions de formation en 2022, 7 sessions de formation en 2023 et 2 en 2024.

Ces différentes rencontres ont pour but la formation et la sensibilisation sur la compréhension des risques et la mise en œuvre des exigences de LBC/FT/PADM

La réunion avec le Groupe d’Actions Financières International GAFI au mois d’août 2024 au Sénégal rentre dans le cadre de l’évaluation sur site des efforts consentis par notre pays en termes de LB/FT/PADM afin de sortir de la liste grise. 

Mbaye Sène, Président ANAIS

MIS :  Comment le cadre législatif sénégalais lutte-t-il contre le blanchiment d'argent dans le secteur immobilier et quels sont les principaux outils de contrôle et de surveillance mis en place?

MS : Je dois rappeler que le Sénégal a adopté un document de stratégie nationale de LBC/FT sur la période 2019-2024 sur la base du plan d’action résultant de l’évaluation nationale des risques (ENR) de 2017 et des recommandations issues du Rapport d’évaluation mutuelle (REM) pour combler les lacunes stratégiques identifiées dans son dispositif national de LBC/FT.

Aussi, le Sénégal s’est attelé à l’actualisation du cadre juridique et institutionnel et l’amélioration de son efficacité.

Le cadre légal et réglementaire s’est inscrit dans un processus de consolidation progressive car son renforcement constitue un volet important de l’axe 1 de la stratégie nationale de LBC/FT.

Le Sénégal a adopté beaucoup de textes réglementaires notamment la prise de textes d’application de la loi 2018-03 en référence à la Recommandation 2 du GAFI. 

Nous avons l’arrêté n° 1598 du 05 février 2021 relatif au formulaire de déclaration des bénéficiaires effectifs adopté le 05 février 2021 qui complète utilement le Décret n° 2020-791 relatif au Registre des Bénéficiaires effectifs du 19 mars 2020 ;

Notons aussi que le Sénégal a internalisé la nouvelle loi uniforme n° 2024-08 du 08 février 2024 relative à la Lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive qui abroge et remplace la loi n° 2018-03 du 23 février 2018 relative à la Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui avait déjà comblé la plupart des déficiences identifiées dans le REM, remédiant ainsi à toutes les lacunes relatives à la conformité technique par rapport à la Recommandation 10 du GAFI.

Aujourd’hui, les agences immobilières membres de notre association ANAIS ont mis en place un dispositif de suivi interne des questions de la lutte contre le blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme avec leur inscription sur la plateforme e-delta mis en place par la CENTIF.

Nos agences désignent en leur sein un point focal en charge de la conformité, elles disposent d’une cartographie des risques, d’un manuel de procédures.

Avant toute transaction, nous procédons à l’identification des clients et des bénéficiaires effectifs.

Nous conservons les documents d’identité et accentuons la vigilance à l’égard des clients et nous signalons les transactions suspectes et mettons en place un processus de traitement des opération suspectes.

Tout ceci ne peut se faire qu’avec une formation de notre personnel et un bon archivage de nos documents.

Nous subissons également des contrôles inopinés de notre tutelle qui est la Direction du Commerce International (DCI) qui vérifie si les agences se conforment aux dispositifs de LBC/FT. 


MIS : Dans un article de Institute For Securities Studies, il est révélé qu’en 2013 plus de 400 millions de dollars injectés dans l’immobilier avaient des origines douteuses. Pensez-vous que les dispositifs de surveillance en place ont permis ces dernières années de réduire le blanchiment dans ce secteur ?

MS : Je ne sais pas si nous avons pu faire reculer le phénomène du blanchiment dans le secteur de l’immobilier mais ce qui est sur et même indéniable, c’est que les acteurs sont mieux informés, mieux sensibilisés et mieux formés dans le domaine de LBC/FT.

Si nous maintenons la vigilance et renforçons les dispositifs réglementaires, le phénomène va reculer et nous espérons une sortie de notre pays de la liste grise en octobre prochain.


MIS : Avec la nouvelle vision des autorités qu’est le « Jub-Jubal-Jubbanti » applicable dans tous les secteurs économiques du pays, avons-nous des raisons d’espérer que le Sénégal sortira de la liste grise du GAFI?

MS : Des efforts énormes ont été déjà consentis par toutes les autorités concernées notamment le Comité National de LBC/FT, la CENTIF, notre tutelle la DCI mais aussi les acteurs immobiliers.

Avec l’avènement du nouveau régime qui prône le « Jub-Jubal-Jubbanti », nous osons espérer d’abord une réorganisation du secteur de l’immobilier avec un vrai organe de régulation.

En effet, dans notre secteur il y’a un désordre indescriptible où on trouve du tout et dans ces conditions, il est très difficile de surveiller certaines pratiques.

Nous savons déjà que le secteur de l’immobilier est confronté à des vulnérabilités et menaces réelles telles que les transactions faites de façon informelle, les transactions en espèces, une absence de dispositif de remédiation des risques, un manque de synergies d’action entre les acteurs du secteur immobilier, notamment entre les administrations en charge du foncier, de l’habitat, de la construction, l’organe de supervision et de contrôle, les notaires...

La réorganisation annoncée du secteur, la doctrine des nouveaux tenants du pouvoir qui sont adeptes de bonne gouvernance et de transparence sont autant de raisons d’espérer non seulement une sortie de cette liste grise mais de faire en sorte que notre pays soit désormais cité parmi les nations modèles en termes de dispositifs de LBC/FT.