Comprendre les SCI dans l’espace OHADA
L’étude des sociétés civiles immobilières dans l’espace OHADA conduit à établir une jonction entre la loi nationale des pays et le droit communautaire sur les formes sociales dont s’agit. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble important de définir la notion de Société Civile Immobilière.
Qu’est-ce qu’une Société Civile Immobilière ?
Il s’agit d’une notion que les notaires et les usagers utilisent régulièrement, pour en constituer. Mais existe-t-il une définition spécifique de ces types de sociétés ?
Pour citer l’exemple du Sénégal, force est de constater qu’il n’existe pas une réglementation spécifique à la Société Civile Immobilière (SCI). Les dispositions applicables aux Sociétés civiles immobilières sont contenues dans le Code des Obligations Civiles et Commerciales notamment en son Livre Sixième, intitulé « Les Contrats Générateurs de Personnes Morales », le Chapitre premier traite des Sociétés Civiles.
Aux termes des dispositions de l’Article 766 du COCC, la Société Civile est définie comme « un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun des apports et constituent une personne morale pour les exploiter et se partager les profits ou les pertes qui résulteront de cette activité ».
Nous pouvons comprendre à travers cette définition que la notion « Immobilière » n’est pas spécifiquement visée et qu’il faudra s’en référer à l’objet social pour se faire une idée sur les activités savoir si elles portent sur la matière immobilière. C’est ainsi qu’une Société Civile peut être qualifiée tantôt comme étant une Société Civile Immobilière ou une Société Civile de Moyen, tantôt une Société Civile Particulière.
A noter qu’au Sénégal les Sociétés Civiles dites Professionnelles sont bien réglementées notamment par les dispositions de l’Article 810-1 à 810-15 du code précité. Elles sont constituées par les personnes physiques exerçant une même profession libérale ou exploitant un office public ou ministériel.
Ce que prévoit le Code de la Construction
A côté du Code des Obligations Civiles et Commerciales sénégalais qui ne donne aucune spécificité de la Société Civile Immobilière, le Code de la Construction du Sénégal vient aménager et organiser certaines sociétés traitant de la matière immobilière.
Il s’agit :
- Des sociétés civiles constituées en vue de la vente d’immeubles ;
- Des sociétés constituées en vue de l’attribution d’immeubles aux associés par fraction indivises.
Si l’une revêt un caractère purement civil, l’autre par contre laisse entrevoir une idée de commercialité par l’activité si bien que l’article L63 dudit code dispose que « Les sociétés civiles dont l’objet est de construire un ou plusieurs immeubles en vue de leur revente en totalité ou en fractions sont régies par l’Acte Uniforme de l’OHADA (portant sur les sociétés commerciales) et par les dispositions du présent chapitre ».
Tentative de définition
Au regard des dispositions sus-énoncées, on constate que tant le COCC que le Code de la construction ne parviennent à donner une définition exacte de la Société Civile Immobilière. Face à cette absence de définition législative ou réglementaire, il convient de se retourner vers celle doctrinale.
La doctrine quant à elle, conçoit les SCI comme étant « une forme de société qui permet à plusieurs personnes physiques ou morales de mettre en commun des biens immobiliers dans le but d'une gestion patrimoniale ».
Cette définition qui semble très simpliste peut poser d’énormes difficultés dans la pratique. Car de par son principe la société civile n’a pas pour vocation de poser des actes de commerce dans le sens des dispositions des articles 2 et 3 de l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général, mais plutôt de gérer et d'administrer des biens immobiliers (résidentiels, commerciaux, industriels, etc.).
Pourquoi créer une SCI ?
Les raisons qui peuvent amener une personne à constituer une SCI sont multiples. Nous pouvons dès lors en donner quelques exemples. La création d’une SCI peut se justifier :
· Par nécessité d’une gestion patrimoniale : La SCI permet de regrouper des biens immobiliers détenus par plusieurs associés, facilitant ainsi leur gestion et leur transmission.
· Pour des raisons de souplesse dans la gestion : Les statuts d'une SCI peuvent être adaptés aux besoins des associés, permettant une grande flexibilité dans la gestion de la société.
· Pour la protection du patrimoine : La création d'une SCI peut permettre d'isoler un bien immobilier du patrimoine personnel des associés, offrant une certaine protection en cas de difficultés financières.
· Pour faciliter la transmission d’un patrimoine immobilier : La SCI facilite la transmission des biens immobiliers aux héritiers des associés en évitant l’indivision.
· Pour des raisons professionnelles : L’achat, la vente et la gestion de patrimoine immobilier en vue de réaliser des profits et se partager les bénéfices.
La SCI commerciale de par son objet ?
Suivant les dispositions de l’Article 6 de l’Acte Uniforme révisé portant sur le droit des sociétés commerciales et du GIE « Le caractère commercial d'une société est déterminé par sa forme ou par son objet ».
A travers cette disposition on peut se poser la question si société civile notamment immobilière peut avoir un objet commercial et ainsi entrer dans le giron de l’Acte Uniforme relatif aux Sociétés Commerciales et du GIE entrainant ainsi son immatriculation au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier.
Nous serions tentés de répondre par l’affirmatif et penser qu’il n’y aurait aucune difficulté pour appliquer les dispositions de l’Acte Uniforme précité au Société Civile Immobilière qui aurait une activité commerciale.
Cette affirmation peut sembler douteuse de toutes les sociétés prévues par cet acte uniforme, toutes n’ont pas forcément le caractère commercial de par leur forme. Nous pouvons citer à titre d’exemple: La société en participation.
Sur la forme des Statuts
Si l’article 10 de l’Acte Uniforme organisant le Droit des Sociétés Commerciales prévoit le recours obligatoire au Notaire ou par tout autre acte offrant des garanties d’authenticité (sauf disposition nationales contraires) pour l’établissement d’une société commerciale, il n’en demeure pas moins qu’aucune forme particulière n’est prévue. La constitution d’une SCI se caractérise par la non-exigence d’un écrit comme condition de sa validité.
Toutefois, nous savons que dans la pratique, les usagers sollicitent le notaire pour l’établissement des Statuts d’une SCI.
Sur le nombre d’associés et leurs responsabilités
Outre la SNC et la SCS, toutes les autres sociétés peuvent être constituées par une seule personne. La SCI suivant la définition donnée par la loi, ne saurait être constituée par une seule personne. Il faut au minimum deux personnes pour la constituer, qu’elles soient physiques ou morales.
Les associés devant prendre part au capital de la SCI peuvent être autant des majeurs que des mineurs émancipés ou non, il faudra juste qu’ils se fassent représentés par leur administrateur légal (ce qui n’est pas évident pour la SNC et la SCS pour les associés en commandite). Dans la pratique, le mineur peut est souvent associé dans une SCI quand bien même l’application rigoureuse de la loi ne l’aurait pas permis, puisque le mineur ne peut être associé dans une Société dans laquelle il peut est indéfiniment et solidairement responsable.
Ils peuvent également être des conjoints sans considération de leur régime matrimonial (ce qui n’est pas également le cas des associés dans une SNC et pour les associés en commandite dans une SCS).
La responsabilité des associés dans une SCI est indéfinie et non solidaire contrairement aux SNC et aux SCS où les associés sont tenus solidairement et indéfiniment. Mais, il demeure qu’avant d’engager la responsabilité des associés, il faut d’abord engager la responsabilité de la société. Ce n’est que lorsque cette dernière est défaillante que le recours aux associés sera possible.
Sur la composition du capital
A l’exception de la Société Anonyme où il est demandé un capital minimum de Dix Millions (10.000.000) de Francs CFA libérable du quart, á la constitution, aucun minimum légal n’est exigé pour les autres types de Sociétés Commerciales. Il en va de même pour la SCI.
Les apports peuvent être constitués en numéraire, en nature dans n’importe laquelle des sociétés qu’elles soient commerciales ou civiles.
Toutefois, en ce qui concerne l’apport en industrie, il est accepté dans toutes les formes de sociétés commerciales ou civiles sauf pour la SA où il est interdit et pour la SARL où il est limité au quart du montant des apports.
La SCI commerciale
Suivant les dispositions de l’article 2 de l’Acte Uniforme portant sur le Droit Commercial Général « Est commerçant celui qui fait de l’accomplissement d’actes de commerce par nature sa profession ».
L’Article 3 poursuit en définissant l’acte de commerce par nature comme étant celui par lequel une personne s’entremet dans la circulation des biens qu’elle produit ou achète ou par lequel elle fournit des prestations de service avec l’intention d’en tirer un profit pécuniaire. Il cite en cela certains actes, ce de manière non exhaustive, comme l’achat de biens meubles ou immeubles, en vue de leur revente.
Pour qu’une société civile immobilière puisse être considérée comme commerciale, il faut que dans les activités qu’elle est appelée à faire qu’il y ait une au moins qui réponde aux exigences de l’article 2 ci-dessus.
Le cas de la Société Civile de Construction Vente
C’est en ce sens que l’article L63 du Code de la Construction du Sénégal dans son ancienne disposition prévoyait que « Les sociétés civiles dont l'objet est de construire un ou plusieurs immeubles en vue de leur vente en totalité ou par fractions sont régies par l’Acte Uniforme de l’OHADA (portant sur les sociétés commerciales) et par les dispositions du présent chapitre ».
Cette disposition confère une prépondérance des dispositions de l’Acte Uniforme organisant le Droit des Sociétés Commerciales et du GIE sur celles contenues dans le code de la Construction. Ce qui laisse entendre que pour la Constitution d’une telle société, contrairement aux sociétés civiles classiques, l’écrit est obligatoire et que les Statuts doivent nécessairement être reçus par un notaire.
Il faut en outre veiller à faire immatriculer la société au registre du commerce.
Immatriculation au RCCM
Il faut rappeler que l’immatriculation de la SCI au RCCM n’est pas obligatoire. Pour le cas du Sénégal, jusqu’à une date récente les Sociétés Civiles n’étaient pas publiées au RCCM. Mais depuis quelques années les banques notamment exigent l’immatriculation des Sociétés Civiles Immobilières sans se soucier si oui ou non il y a un objet commercial dans ses activités.
Avoir un objet commercial est nécessaire pour qu’une SCI puisse être immatriculée au Registre du Commerce et seulement à cette condition, l’immatriculation devient une obligation pour elle. Ainsi pouvons-nous lire aux termes de l’Article 44 de l’acte Uniforme portant sur le Droit Commercial Général « Les personnes morales soumises par des dispositions légales à l’immatriculation doivent demander leur immatriculation dans le mois de leur constitution, auprès du greffe de la juridiction compétente ou de l’organe compétent dans l’État Partie dans le ressort duquel est situé leur siège social ou leur principal établissement ».
Immatriculation et personnalité juridique
Par principe, l’immatriculation de la Société Civile Immobilière n’a pas le même effet que celle pour la société commerciale.
Si elle est requise pour la Société Commerciale pour lui conférer la personnalité juridique, l’immatriculation de la SCI est faite pour lui conférer le caractère commercial. En effet, il ne faut pas perdre de vue la Société Civile acquiert de la personnalité morale dès l’instant que les parties ont manifesté leur intention de mettre en commun des apports en vue de constituer une personne morale pour les exploiter et se partager les profits ou les pertes qui résulteront de cette activité. La seule exigence est que la société ne soit pas fictive.
Toutefois, en raison, de la primauté des dispositions des Actes Uniformes de l’OHADA sur celles nationales, il y’a lieu de s’interroger s’il n’y aurait pas une renonciation de la loi nationale au profit de celle supranationale et qui ferait qu’une société civile immobilière et commerciale de par son objet ne puisse avoir la personnalité juridique qu’après son immatriculation au RCCM.
Passage d’une une société commerciale en une SCI
Il peut arriver qu’une société qui exerçait une activité commerciale décide de modifier son objet social en ne maintenant plus qu’une activité purement civile. Il s’agit de situation que nous ne rencontrons pas dans la pratique. Mais qui peut toutefois arriver. La question serait de savoir ce qu’il faut faire en ce sens. Y aurait-il lieu de procéder à la dissolution de la société, suivi d’une nouvelle création, ou tout de retirer la société du RCCM auquel elle est affiliée ?
La réponse à cette question est réglée par l’Article 188 de l’AU/SCGIE. En effet, il ressort de cette disposition que « Lorsque la société́, à la suite de sa transformation, n'a plus l'une des formes sociales prévues par le présent Acte uniforme, elle perd la personnalité́ juridique si elle exerce une activité́ commerciale. »
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Me Mory Diakhaté
Notaire à Saint Louis, Secrétaire Général Bureau CDNS