Le marché immobilier sénégalais : Entre potentialités économiques et nécessité de régulation

Par Papa Djibril Diakhaté
Papa Djibril Diakhaté

Le secteur de l'immobilier fédéré au BTP (Bâtiment et Travaux Publics) représente au Sénégal environ 30 % du PIB et est régi par des textes en  grande partie obsolètes.

Les acteurs sont divers et évoluent de façon dispersée et pour un grand nombre dans l'informel.

L'Etat a une faible emprise sur le secteur qui croît de façon exponentielle et incrusté dans de profonds goulots d'étranglement. 

Old urban houses
Papa Djibril Diakhaté, Commisaire aux Enquêtes Economiques, Juriste immobilier et Doctorant en Droit

Les pouvoirs publics gagneraient  à impulser une nouvelle dynamique et s’orienter vers d’autres paradigmes permettant une prise en mains effective du secteur qui pourrait charrier d'immenses perspectives  aux doubles plans économique et social.

Nous passerons donc en revue -à la limite des informations glanées- trois principaux aspects:

-       le cadre juridique.

-       la panoplie d'acteurs présents.

-       les avantages différentiels que revêtent le secteur, les dysfonctionnements observés, les risques liés au blanchiment et les recommandations à préconiser.


1ère partie : Le cadre juridique actuel du secteur immobilier sénégalais 


De manière globale, au Sénégal l’accès à l'activité dans l'immobilier est régi par la loi 82-07 du 30 juin 1982 relative aux activités de promotion, de transaction, de gestion, d'études et de conseil.

Le décret d'application est entré en vigueur le 21 avril 1983.

En plus,  les lois et règlements qui organisent le secteur se limitent à trois textes législatifs et deux décrets. La première loi 94-69 du 22 août 1994 fixe le régime d'exercice des activités économiques. La deuxième loi 2013-04 du 8 juillet 2013  abroge et remplace la loi 77-85 du 10 août 1977 soumettant à autorisation préalable certaines transactions immobilières et instituant un régime de déclaration préalable aux transactions portant sur un immeuble et un droit réel immobilier. Cette déclaration préalable a pour objet les opérations suivantes : cession à titre gratuit ou onéreux, échange avec ou sans titre, partage et apport en société. La troisième loi 2014-03 du 3 février 2014 porte sur la baisse des loyers n'ayant pas été calculés suivant la surface corrigée. Cette dernière loi a généré deux décrets d'application. Tout cela rend aisé l'accès au secteur dont les conditions sont aujourd’hui essentiellement centrées sur la consécration du principe de liberté même si des aménagements sont prévus : 

-       le choix de la forme juridique 

-       la disposition d’un nom commercial 

-       l'immatriculation au RCCM.

Dans tous les cas  l'activité immobilière est tenue essentiellement par plusieurs catégories d’acteurs.


2èmePartie : Les acteurs de l'immobilier

Ils comptent principalement les bailleurs, les locataires, les acheteurs, les agences, les courtiers et les experts - conseillers.

De plus en plus, les avocats et notaires  y interviennent et dans beaucoup de cas empiètent sur les missions des agences.

Avant d'évoquer la place de chaque acteur de l'immobilier nous allons d'abord braquer l'éclairage sur l'offre et la demande du secteur immobilier sénégalais. 

En fait les services prêtés dans ce secteur reposent sur la location, la vente, la location-vente, la gérance,  la régularisation des biens et le syndic.

La sollicitation des produits se cristallise plus sur la location qui occupe les 2/3 du chiffre d'affaires.

Les produits proprement dits concernent plus les terrains, les immeubles, les duplex, les souplex, les villas, les appartements, les studios et les chambres.

La demande est composée de personnes morales et physiques constituées d'institutions, de collectivités, d'entreprises, d'hommes d'affaires et de particuliers; tous pouvant être locataires ou bailleurs.

1-Les bailleurs :

Ils sont les propriétaires (ou représentants non intermédiaires  des propriétaires) des logements locatifs.

Ils sont des entités formelles, ou non formelles ou simplement  des particuliers. 

Ils peuvent être résidents au Sénégal ou vivant à l'étranger.

Ils sont essentiellement motivés par la rentabilisation de leur investissement.

Les bailleurs sont certes de profils assez différents, mais ils sont nombreux qui font fi du fisc surtout pour ceux assujettis à la contribution globale foncière.

Leurs conditions de cession du logement requièrent en règle générale le versement d'une "caution"(garantie pour les éventuelles réparations de dommages causés), "l'avance"(permettant de se prémunir des risques d'insolvabilité et de perfidie du locataire) et de la commission  en cas de recours à un intermédiaire (ponctuel pour le courtier et permanent pour l'agence pendant toute la durée de l'exploitation)

Le plus grand nombre des bailleurs fixe les prix de leurs produits sans tenir compte des indications de la loi qui ordonne l'obligation de l'évaluation faite sur la valeur du bien  (méthode de la surface corrigée ).

C'est d'ailleurs l'un des enjeux qui s'attachent à la loi de 2014 sur la baisse des loyers.

Cela explique une pratique de prix basée sur les tarifs de la zone géographique concernée.

Les bailleurs sont certes de profils assez différents, mais ils sont nombreux qui font fi du fisc surtout pour ceux assujettis à la contribution globale foncière.

Beaucoup de bailleurs de surcroît ceux n'utilisant pas les services des agences, 

sont confrontés à des difficultés surtout dans leurs relations avec les locataires.


Il- Les locataires :

Ils sont de tous profils (institutions,collectivités,entreprises, particuliers).

Leurs attentes de location dépendent fondamentalement de leur niveau de revenu.

Et, de nos jours la part du loyer est à un niveau de plus en plus important dans le revenu du locataire surtout pour les ménages.

Il est à souligner que dans les grandes villes, la location est une réalité massive entraînant ainsi un surenchérissement sur le marché. 

La durée de l'occupation locative jadis assez longue se réduit de plus en plus surtout pour les ménages en raison de leurs aspirations de mieux vivre et des desideratas liés  aux  comportements d'un certain nombre de bailleurs chevillés sur l'appât du gain en voulant en permanence s'aligner sur les tendances haussières du marché. 

Les critères de choix de zone de location tournent autour de la proximité (de la famille d'origine, du lieu de travail, des écoles des  enfants et autres infrastructures sociales), l'accessibilité (lieux pas enclavés) et la sécurité (garantie de vie tranquille).

Il est à souligner que c'est à DAKAR et de plus en plus à  la station balnéaire de Saly Portudal et dans quelques grandes villes que la location est une réalité massive entraînant ainsi un surenchérissement sur le marché. 

Dans les autres localités même si elle a tendance à croître, elle demeure encore de poids relativement faible.

Dans tous les cas les locataires au Sénégal butent sur d’innombrables  obstacles. 

Cela est tout le contraire de la situation des acheteurs qui en raison de leur liquidité immédiate bénéficient de la faveur des rapports de force.


III- Les acheteurs : 

Ils sont les segments qui sur le marché satisfont aux conditions d'accès à la propriété. Ils répondent aux attentes de vente déclinées par les offreurs. 

Ils sont de profils divers et se différencient par leur budget selon les zones géographiques et les niveaux de standing.

En raison du degré élevé d'implication de leurs actes liés à  la catégorie du comportement d'achat, le processus est séquentiel et commence par l'expression du besoin  pour se terminer par la décision d'achat en passant par la recherche d'informations et l'évaluation des propositions reçues.

À  terme il y a toujours un comportement post achat généré par un effet d'entraînement pour le rendre satisfait ou non et par conséquent devenir un vecteur positif ou négatif prompt selon l’hypothèse  à  se fidéliser ou à se détourner de l'offre, tout comme influencer son réseau relationnel.

Dans les faits, l'exécution de l'achat tient à des conditions de conformité aux vérifications de validité juridique et matérielle du produit, d'habilitation du vendeur et d'authentification de l'acte de droit.

Cela appelle alors la présence du notaire.

Dans le cas d'achat par intermédiation, l'acheteur bénéficie le plus souvent  des services de l'agence.


IV- Les intermédiaires :

Au Sénégal l'intermédiation immobilière étant régie par la loi 82-07 du 30 juin 1982 est centrée sur deux principaux acteurs :les agences et les courtiers.

Les agences sont les acteurs de base car réalisant leur activité de façon formelle même s'il existe de plus en plus des agences non formelles pour ne pas dire clandestines.

Le nombre d'agences ne peut être déterminé de manière précise en raison de la floraison continue. 

Toutefois, l'existence de deux associations professionnelles permet d'identifier les agences les plus visiblement  actives. 

Il s'agit de L'ANAIS (Association Nationale des Agents Immobiliers du Sénégal qui compte vingt-cinq membres) et de la FACIS (Fédération des Agents et Courtiers immobiliers du Sénégal qui compte 250 membres).

Toutes les deux associations ont été créées en 2016 et ne regroupent pas l’ensemble des agences.

Il y a aussi les consuméristes qui défendent les consommateurs de façon générale (ASCOSEN) et une organisation à  vocation spécifique de défense des locataires est née.

Les agences qui évoluent de manière  générale sous formes juridiques de SARL, SUARL et GIE, ont comme leaders les structures « Régie Mugnier » et « Indépendance Immobilier »

Les agences s'activent dans la vente,  la location- vente, la location, la gérance, le conseil et parfois même dans le syndic.

Elles sont de tailles différentes et implantées plus à DAKAR et de plus en plus s'étendent vers Saly Portudal et vers  un certain nombre d'autres grandes villes du pays.

Celles qui obéissent aux normes entrepreneuriales s'activent avec une structure organisationnelle bien définie répartissant les liens d'autorité et de communication tenant compte d'un management interne bien établi.

Elles sont les interlocutrices des bailleurs, des acheteurs, des locataires avertis et soucieux de prise en charge professionnalisée.

Elles fondent leur activité  commerciale sur une double fonctionnalité de marché amont et de marché aval. Cela signifie qu'elles prospectent pour acquérir le produit(amont) et prospectent et communiquent pour pousser le produit vers le client(aval).

Dans la phase amont l'accès au produit se concrétise par l'accord par  un mandat lorsqu'il s'agit de gérance. 

L'agent immobilier étant un mandataire assure la gérance pour le mandant qu'est le bailleur.

Ce mandat induit en tant que contrat synallagmatique des obligations réciproques.

Ainsi dans la pratique actuelle l'agent immobilier est rémunéré en commission le plus généralement négociée entre 5% et10% du montant du loyer à verser par le bailleur dans le cadre du contrat de gérance. 

L’agence perçoit un montant équivalent à un mois de loyer hors taxes hors charges majoré de la TVA sur le locataire dans le cadre du contrat de  location.

Lorsqu'il s'agit de vente la commission est dégressive.

En effet, pour une somme inférieure à cent millions de francs CFA le taux de  commission est de 5% et pour une somme supérieure à cent millions de francs CFA le taux de commission est porté à 3%.

Dans les transactions entre agences le taux de commission est de 50%.

Avec les courtiers l'agent immobilier négocie un niveau de commission encore 20% et 30%. Il arrive pour certaines agences de déterminer derechef un taux fixe de commission. 

Les paiements sont effectués en mode soit fiduciaire, scriptural, électronique ou en troc.

Les agences nouent des partenariats techniques avec les notaires (juridique, fiscal et financier)et d'appui avec les avocats(recouvrement d'impayés, saisine juridictions).

À côté des agences, interviennent très activement les courtiers. Ils sont le plus souvent dans l’informel, ne disposent du produit et sont rémunérés en commission. Ils peuvent être les relais des agences ou directement en contact avec les bailleurs.

Les courtiers semblent être des électrons difficiles à cerner dans ce secteur où ils sont perçus  comme biaisant l’image.          

Malgré  tout, la désorganisation du secteur fait que les agences sont tributaires d'un certain nombre de contraintes. 

Et au plan administratif le secteur est sous la tutelle de la direction du commerce intérieur qui s’attèle malgré ses ressources à renverser la tendance.

Cette revue des points saillants du secteur ne peut être bouclée sans une analyse des forces et faiblesses du secteur  d'une part et d'autre part sans faire l’inventaire de risques de blanchiment pour enfin formuler des recommandations.



3ème  Partie: Analyse critique des réalités du secteur

I- Identification des avantages différentiels  du secteur:

Le secteur pèse assez lourdement dans l'économie nationale. Il tient un important potentiel d'exploitation qui peut assurer une forte redistribution des richesses et offrir un grand nombre d'emplois.

Il fait entrevoir de réelles perspectives de développement car le premier investissement opéré par le Sénégalais est toujours  l'acquisition du logement qui apparait presque comme une satisfaction d'instinct de survie.  

A cela s'ajoute l'urbanisation galopante et l'émergence d'une couche moyenne en croissance permanente. 

Au niveau des acteurs du secteur il y a une participation dynamique à la création de richesses, un apport de mission de service public, une incitation au renforcement du parc immobilier et une diversification de l'offre de logements. 

Il y a l'absence de régulation du secteur qui engendre une véritable situation de désordre.

Il- Repérage des dysfonctionnements du secteur:

Ils tiennent d'abord aux difficultés de garantir le plein accès au logement et  à la caducité des textes.

Puis il y a l'absence de régulation du secteur qui engendre une véritable situation de désordre.

Ensuite on note le coût élevé des matériaux de construction répercuté sur les prix des produits.

Enfin il y a le non-paiement par les bailleurs de la contribution globale foncière, les difficultés de recouvrement des loyers,les longues procédures judiciaires en cas de cas de contentieux pour non-paiement, la faiblesse de ressources humaines qualifiées, les limites d'organisation commerciale efficace, l'état de précarité des locataires et l'absence de statut précis des courtiers qui sans aucun doute va continuer à niveler le secteur vers le bas.


III- Les principaux risques de blanchiment de capitaux :

Ils peuvent être énoncés comme suit :

-       le caractère plus ou moins informel du secteur qui évacue les règles et procédures requises.

-       la faible professionnalisation des activités qui peut engendrer la non transparence dans l’exécution des prestations.

-       le déficit de formation qui est souvent  à l’origine des comportements de corruption.

-       les choix incontrôlés d’investissements par des acteurs non encore connus dans  le secteur.

-       le procédé d’investissement graduel pour fractionner l’injection progressive de l’argent issu du blanchiment.

-       le  mode de paiement en espèces qui facilite le contournement des institutions financières.

-       la volonté de l’acquéreur d’accélérer l’opération commerciale pour pouvoir se débarrasser des sommes détenues.

-       la pluralité d’intervenants pour une opération déterminées qui favorise la difficulté de traçabilité de l’origine de l’argent.

-       l’absence de collaboration permanente entre les agences et la direction du commerce intérieur (tuteur administratif du secteur).

-       l’absence de sensibilisation continue sur les méthodes utilisées qui sont en changement régulier.

-       l’allègement par entente des règles et procédures pour l’exécution d’une opération.

-       la flexibilité du secteur qui permet de dissimuler l’origine de fonds à investir et l’identité de l’investisseur.

-       l’accueil de méga projets qui mobilisent de gros montants pour édifier des propriétés immobilières.    

                  Les pouvoirs publics devraient initier plus de programmes de logements sociaux pour réduire l'exposition des populations au diktat des propriétaires.

IV-Préconisations d'amélioration du secteur:

Les pouvoirs publics devraient initier plus de programmes de logements sociaux pour réduire l'exposition des populations au diktat des propriétaires.

Ils devraient aussi adapter les textes à l'ère du temps pour prendre en charge la complexité des réalités.

Pour cela ils pourront établir un organe de régulation à attributions pertinentes et doté de moyens conséquents.

Ils devraient également agir sur les coûts de matériaux de construction pour aplanir les écueils liés aux prix élevés des produits.

Une solution urgente devrait être trouvée aux longues procédures judiciaires en cas de contentieux pour non-paiement, en rapport avec le pouvoir judiciaire pour éviter de plomber des activités entières.

En plus les pouvoirs publics devraient répertorier les agences (pour une meilleure prise en charge  du secteur de façon formelle et au besoin les organiser en ordre professionnel), recadrer le courtage (par la mise en place de statut à conditions d'éligibilité sélective à l'instar du secteur des assurances) et recenser le parc locatif et les bailleurs pour assurer le contrôle effectif des prix et la perception de la contribution globale foncière pouvant relever considérablement l'assiette fiscale).

L’État central devrait inexorablement impliquer davantage les collectivités territoriales. 

Enfin les agences gagneraient à se doter de plus de ressources humaines qualifiées(l'Etat du Sénégal vient de mettre en place un BTS de professions immobilières et pourrait continuer l’élan en poursuivant vers de nouveaux métiers de l’immobilier comme ceux de gestionnaires de biens ou d’actifs immobiliers, de juriste immobilier, de négociateur immobilier et de chasseur de bien immobilier) et à restructurer leurs fonctions commerciales par le renforcement de capacités en saisissant les opportunités offertes par le fonds de financement de la Formation Professionnelle et Technique(3FPT) pour d'une part accroître leur portefeuille clients et d'autre faciliter sa gestion de façon personnalisée. 

Toutes choses qui contribueront à réduire les risques de blanchiment de capitaux. 

En définitive toutes ces mesures correctives énumérées sont certes impératives mais dans les faits ne sont qu'un coin de voile de la problématique traitée.

Autrement, nous voulons dire que notre rapport n'est qu'une ébauche qui pourrait être le tremplin pour la réalisation d'une étude de marché du secteur à commanditer par l'Etat du Sénégal.

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Papa Djibril Diakhaté

Commissaire aux Enquêtes Economiques,

Juriste immobilier et Doctorant en Droit