Pourquoi le foncier urbain est devenu le principal facteur inflationniste du logement
Le renchérissement du logement urbain à Dakar et, plus largement, dans les principales agglomérations sénégalaises, ne peut plus être analysé comme une simple conséquence mécanique de la croissance démographique ou de l’urbanisation accélérée. Une lecture rigoureuse des structures de coûts révèle un fait central : le foncier urbain est devenu le principal moteur inflationniste du prix final du logement. Cette dynamique, souvent évoquée de manière intuitive, mérite d’être déconstruite avec méthode afin d’en comprendre les ressorts profonds et les implications économiques à moyen et long terme.
Au cœur de cette inflation se trouve la transformation progressive du sol urbain en actif financier autonome, dissocié de sa fonction première de support de l’habitat. En effet, le foncier n’est plus appréhendé comme un facteur de production intégré à une chaîne de valeur immobilière, mais comme un bien spéculatif dont la détention, même improductive, constitue en soi une stratégie patrimoniale. Cette mutation silencieuse a profondément modifié les comportements des propriétaires et des opérateurs immobiliers.
[Pour une meilleure compréhension du foncier, le cabinet AML Estate Intelligence met à jour périodiquement les tendances de prix dans toutes les localités du Sénégal.]

Dans les zones à forte attractivité économique et sociale, la rétention foncière est devenue courante. Le propriétaire anticipe une hausse quasi continue de la valeur du terrain, alimentée par la rareté et l’amélioration des infrastructures publiques.
Dans ce contexte, céder un terrain aujourd’hui revient souvent, dans l’esprit des détenteurs, à renoncer à une plus-value future jugée certaine. Cette anticipation auto-réalisatrice raréfie artificiellement l’offre disponible et exerce une pression directe sur les prix des parcelles mises sur le marché.
À cette rétention s’ajoute une fragmentation extrême du foncier urbain sans compter la multiplication des indivisions, des héritages non régularisés et des titres précaires compliquant la constitution d’assiettes foncières cohérentes pour des projets structurés.
[Le rapport 2025 du marché immobilier revient en profondeur sur l'état du marché foncier et la chronologie des récentes mesures dans ce secteur.]

Etat des lieux
Le rôle des politiques publiques, ou plus précisément de leurs insuffisances, ne peut être éludé. L’absence d’une politique foncière proactive, orientée vers la constitution de réserves stratégiques, laisse le marché évoluer selon des logiques purement privées. L’État intervient souvent en aval, à travers des programmes de logement ou des incitations fiscales, alors que le véritable levier se situe en amont, au niveau du contrôle, de la mobilisation et de la valorisation du sol. Cette asymétrie d’intervention crée un paradoxe : des efforts budgétaires importants pour soutenir l’offre de logements, neutralisés par une inflation foncière incontrôlée.
La planification urbaine, lorsqu’elle existe, peine aussi à jouer son rôle de régulation économique. Les documents d’urbanisme sont fréquemment déconnectés des réalités du marché, insuffisamment opposables ou appliqués de manière sélective. Cette faiblesse normative ouvre un espace à des stratégies opportunistes, où la constructibilité réelle d’un terrain devient un objet de négociation informelle plutôt qu’un cadre stable et prévisible.
Un autre facteur, souvent sous-estimé, réside dans la fiscalité foncière elle-même. Dans les marchés où une fiscalité progressive sur le foncier inoccupé est appliquée avec rigueur, la rotation des terrains est plus rapide et l’offre plus fluide.
L'inflation foncière agit donc comme un multiplicateur sur l’ensemble de la chaîne immobilière. Le coût du terrain, qui pouvait historiquement représenter une part raisonnable du prix de revient, absorbe désormais une proportion excessive du budget global des opérations. Pour maintenir une rentabilité minimale, le promoteur n’a que des marges de manœuvre limitées : augmenter les prix de vente, réduire les surfaces, dégrader certaines composantes qualitatives ou se positionner exclusivement sur des segments solvables à revenus élevés (très haut standing). Dans tous les cas, la conséquence est une exclusion progressive des ménages intermédiaires du marché formel.

Financement
Les banques, confrontées à des prix du foncier élevés et à des risques juridiques persistants, renforcent leurs exigences en fonds propres et privilégient des projets à forte valeur unitaire. Le crédit immobilier devient ainsi un filtre supplémentaire, orientant l’offre vers des produits haut de gamme ou semi-luxe, tandis que la demande majoritaire reste insatisfaite. L’inflation foncière se diffuse alors au-delà du logement neuf, contaminant le marché locatif et l’immobilier ancien par effet de comparaison.
Il serait erroné d’analyser cette situation comme une fatalité liée au développement urbain. D’autres trajectoires sont possibles, à condition de reconnaître le caractère systémique du problème. Tant que le foncier sera traité comme une variable exogène, subie par les acteurs de la construction, toute politique du logement restera partiellement inefficace. Le sol urbain doit redevenir un instrument de politique publique, non par une logique de contrôle administratif rigide, mais par une régulation économique intelligente.
La constitution de banques foncières publiques ou parapubliques, dotées de moyens financiers et juridiques réels, permettrait de stabiliser les prix et d’orienter l’usage du sol vers des priorités collectives. De même, une réforme de la fiscalité foncière, ciblant explicitement la rétention spéculative, introduirait un signal économique clair en faveur de la mise en valeur rapide des terrains. Ces outils ne sont ni idéologiques ni révolutionnaires ; ils relèvent d’une ingénierie foncière éprouvée dans de nombreux contextes comparables.
Qu'en retenir ?
Ainsi, l’inflation du logement n’est pas d’abord une crise de la construction, ni même une crise du financement. Elle est, avant tout, l’expression d’un déséquilibre foncier profond, entretenu par des incitations mal alignées et une gouvernance fragmentée. Tant que ce nœud structurel ne sera pas traité avec lucidité et constance, toute tentative de maîtrise des prix restera superficielle, et le droit au logement continuera de se heurter aux logiques spéculatives du sol urbain.
