Commission Adhoc, littoral et gouvernance foncière au Sénégal
En date du 13 mai 2024 et signé le Premier ministre Ousmane Sonko, il a été décidé par arrêté n°006632 de la «création d’une Commission ad hoc chargée du contrôle et de la vérification des titres et occupations sur les anciennes et nouvelles dépendances du Domaine Public Maritime (DMP) dans la région de Dakar».
Bien que cette initiative vise louablement à clarifier les droits d'occupation, elle soulève des interrogations quant à son opportunité actuelle et aux résultats potentiels qui doivent encore être divulgués, si ce n'est déjà fait.
Pour mieux comprendre pour certains, une analyse statique du système foncier au Sénégal révèle trois régimes distincts : la domanialité nationale, la domanialité publique, et l'immatriculation. Ces régimes encadrent les trois catégories de terres au Sénégal : celles du domaine national régies par la loi n°64-46 du 17 juin 1964, et celles du domaine de l'État régies par la loi n°76-66 du 2 juillet 1976, divisé en domaine public et privé. La consolidation de cette réglementation diversifiée en un document unique est une tâche cruciale.
Ce cadre juridique, à mon avis, souligne les ambiguïtés de la gouvernance étatique, notamment lorsque les services agissent de manière non-collégiale ou manquent de transparence. Se pose alors la question de savoir si la création de cette commission avec les acteurs ne visait pas à se décharger d'une responsabilité épineuse créée en amont sans les associer.
L'association directe entre finances et gestion foncière ne fonctionne pas efficacement dans notre contexte sénégalais
La gestion de la gouvernance foncière ne se limite pas à la création de commissions. À mon sens, il est essentiel de revoir les prérogatives du Ministère des Finances et du Budget, car l'association directe entre finances et gestion foncière ne fonctionne pas efficacement dans notre contexte sénégalais.
Un exemple pertinent est celui de l'Allemagne, où les directions du domaine et du cadastre relèvent du Ministère fédéral de l'Intérieur, de la Construction et du Territoire numérique, non du ministère des finances. Cette séparation vise à assurer une gestion transparente et équilibrée des ressources foncières, minimisant ainsi les conflits d'intérêts potentiels liés à la gestion financière et à l'aménagement du territoire.
La question centrale demeure : l'État dispose-t-il réellement des capacités nécessaires pour entreprendre d'éventuelles démolitions des constructions établies sur le Domaine public maritime (DPM) ? Ces constructions bénéficient souvent de titres fonciers ou de permis de construire délivrés par des dérogations accordées par le pouvoir central, soulevant des préoccupations quant à la cohérence et à la transparence des processus de gestion foncière. Cette situation révèle un problème de gouvernance foncière où l'État joue simultanément un rôle de juge et partie, puisque c'est lui qui attribue les domaines concernés, exacerbant ainsi les tensions et les conflits d'intérêts.
Dans ce contexte, il est impératif de réaliser un état des lieux exhaustif de la chaîne d'instruction des projets immobiliers, depuis l'attribution des titres par les services du domaine jusqu'à la délivrance des permis de construire. Cette évaluation permettrait d'identifier les lacunes du système et de déterminer la responsabilité des différentes parties impliquées, y compris les professionnels du secteur de l'architecture et de l'urbanisme.
Il est crucial de s'inspirer des bonnes pratiques internationales en matière de gestion urbaine et foncière. Par exemple, des pays comme Singapour ont modernisé leur cadastre grâce à la numérisation, améliorant ainsi la transparence et la gestion des terres. De même, des approches intégrées, telles que celles appliquées à Curitiba, au Brésil, pourraient inspirer une planification urbaine plus durable et inclusive au Sénégal.
La récente création de la commission ad hoc suscite des doutes quant à sa pertinence
Enfin, la pleine implication des réels acteurs techniques dans ces processus décisionnels est cruciale pour garantir des pratiques urbanistiques respectueuses de l'environnement et socialement équitables. Leur expertise est indispensable pour promouvoir un développement urbain équilibré tout en préservant notre patrimoine naturel et en favorisant un développement économique durable.
Notons que, le littoral ouest de Dakar, ainsi que d'autres régions côtières du Sénégal, font face à des défis majeurs malgré les nombreux projets de construction réalisés, engendrant des coûts économiques, sociétaux et de gouvernance significatifs.
La récente création de la commission ad hoc suscite des doutes quant à sa pertinence et à la capacité réelle de l'État à entreprendre des démolitions coûteuses et administrativement complexes. Cependant, il est crucial de se demander pourquoi le littoral ouest est mis en avant comme une priorité, alors que la dégradation et le bradage foncier affectent tout le littoral sénégalais. Cette mise en avant ne risque-t-elle pas de politiser la question du littoral ouest, alors que des problématiques similaires existent sur l'ensemble des côtes du pays ?
Quant au littoral Est de Dakar et aux autres régions côtières, ils sont confrontés à des défis environnementaux tels que la pollution due au rejet des eaux usées et l'implantation industrielle, ayant des conséquences dévastatrices sur l'environnement, la biodiversité et la santé des riverains.
Il est essentiel de mener des projets identitaires renforçant le lien entre la communauté locale et son environnement côtier
La baie de Hann, malgré ses défis actuels tels que la pollution par les eaux usées, les déchets et les dégradations environnementales, est un exemple remarquable de riche biodiversité et de potentiel économique. Elle est au cœur de plusieurs initiatives de développement. Les travaux en cours visent à revitaliser cet espace en intégrant des principes de durabilité environnementale et sociale. Cela comprend la restauration des écosystèmes marins et la promotion d'infrastructures urbaines résilientes face aux changements climatiques.
Parallèlement, il est essentiel de mener des projets identitaires renforçant le lien entre la communauté locale et son environnement côtier, tout en reflétant les valeurs culturelles et historiques de la région, et répondant aux besoins contemporains de développement urbain durable.
Intégrer ces initiatives dans la gestion globale du littoral sénégalais est essentiel pour garantir un développement équilibré et durable, en harmonie avec les aspirations de la population et les impératifs de préservation environnementale.
Il est impératif de renforcer la gouvernance foncière, d'améliorer la transparence des processus décisionnels et de garantir une participation active des parties prenantes pour un développement urbain durable au Sénégal.
Wolette THIAM
Architecte et Urbaniste DPLG - BRÉSIL