Loyer et économie de la Construction : bâtir un référentiel pour le marché résidentiel
La régulation du marché locatif au Sénégal est l'un des plus grands chantiers du secteur immobilier au Sénégal. Les prix sont volatils, les critères de tarification demeurent largement subjectifs, et l’absence d’un référentiel alimente la défiance des ménages tout autant que les incertitudes pour les investisseurs. Pourtant, un principe simple mais structurant pourrait enclencher une nouvelle dynamique : relier le loyer au coût réel de construction du bien loué.
Cette corrélation, trop souvent ignorée, repose sur une évidence économique : tout loyer est, en substance, le mécanisme d’amortissement d’un investissement initial. Dès lors, une approche rationnelle consisterait à établir un lien formel entre le coût de production immobilière – incluant le foncier, les matériaux, la main-d’œuvre et les équipements – et le prix demandé au locataire, sur une durée d’amortissement cible.
Une question bien souvent soulevée par les corporations d'agences immobilières et les juristes immobiliers (Cf: Papa Djibril Diakhaté : "Esquisses de solutions pour une meilleure régulation du loyer au Sénégal" ).
Le cabinet AML Estate Intelligence a posé les bases d’un tel modèle à travers son Indice du Loyer Résidentiel (ILR), indexé depuis janvier 2021.
Avec l'ILR qui sert de baromètre aux professionnels, la suite logique serait de mobiliser l’Indice du Coût de la Construction (ICC), déjà élaboré et diffusé en open source par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), afin de le faire dialoguer avec les loyers pratiqués. Cette intégration permettrait d’ancrer les loyers de référence dans une dynamique macroéconomique rigoureuse, en tenant compte de l’évolution réelle des charges de production.
Aussi partir de cet ICC, pouvons-nous intégrer un mécanisme de révision des loyers mensuels de référence pour chaque standing :
Loyer Révisé 𝑡 = Loyer Base× (1+ (ΔICC 𝑡/100))
Avec un plafonnement de l’évolution (ex. : +5 % max par trimestre) pour éviter des hausses spéculatives et maitriser le marché.
Une telle approche appelle également une refonte de la typologie des immeubles du décret Nº2010-439. Il s’agit de bâtir une nomenclature rigoureuse, fondée sur des critères quantifiables : superficie, qualité des matériaux, équipements collectifs (ascenseur, parking, sécurité), performances énergétiques, etc.
Immeubles Collectifs
Catégorie | Standing | Caractéristiques technique et fonctionnelle |
A+ | Très haut standing | - Ascenseur premium (avec secours) - Finitions haut de gamme (marbre, granit, bois noble) - Domotique intégrée - Parking souterrain - Système solaire pour autonomie partielle - Sécurité 24h/24 avec vidéosurveillance - Espaces verts aménagés - Salle de sport ou conciergerie intégrée |
A- | Haut standing | - Ascenseur standard - Finitions supérieures (carrelage premium, menuiserie alu/bois) - Chauffe-eau solaire - Parking aérien privé - Gardiennage - Balcons dans toutes les pièces - Local de service ou buanderie |
B+ | Moyen standing | - Escaliers carrelés - Finitions correctes - Pré-équipement chauffe-eau - Parking partagé (non réservé) - Accès sécurisé (gardien ou digicode) - Cuisine fermée ou semi-ouverte - Pas de domotique |
B- | Moyen standing | - Finitions simples (carrelage standard) - Pas d’ascenseur - Pas de parking ou en option - Sécurité minimale - Ventilation naturelle uniquement - Conception standard sans équipements intégrés |
Maisons à étages
Catégorie | Standing | Caractéristiques technique et fonctionnelle |
A | Haut standing | - Grande cour - Jardin ou zone verte - Finitions esthétiques - Toiture renforcée - Portail automatique ou en métal travaillé - Réseau électrique renforcé (clim, chauffe-eau) |
B | Moyen standing | - Cour intérieure ou arrière - Toiture en tôle ou dalle béton - Menuiseries simples - Cuisine carrelée - Mur de clôture - Réservoir d’eau ou forage possible |
C | Economique | - Construction en matériaux standards - Toiture légère - Pas de clôture ou clôture basse - Absence de carrelage intégral - 1 ou 2 chambres - Conception très basique sans équipements |
Seuil de durée des bâtiments (neuf et ancien)
Les seuils proposés peuvent s’appuyer sur une logique technico-fonctionnelle et une durée d’amortissement partielle :
Durée de 0 à 5 ans : NEUF
Dans cette tranche, le bâtiment conserve :
- L’intégralité de ses performances initiales (thermiques, structurelles, électriques)
- Un entretien encore peu sollicité (pas de rénovation majeure)
- Des équipements récents (ascenseur, chauffe-eau, peinture, menuiserie)
- Sur le plan économique, cette période correspond à la phase initiale d’amortissement, où le propriétaire cherche à maximiser le retour sur investissement.
Au-delà de 5 ans : ANCIEN
C’est généralement le seuil à partir duquel :
- Les premiers cycles d’entretien lourd apparaissent (étanchéité, peinture extérieure, réseau)
- Certains matériaux montrent des signes d’usure ou de fatigue fonctionnelle
- La perception du bien par les locataires change, surtout si non entretenu.
Cela ne veut pas dire qu’il perd toute valeur, mais son standing se relativise si aucune mise à jour n’est faite.
Ce découpage 0-5 ans / +5 ans est donc opérationnel, défendable techniquement, et facilement compréhensible sur le marché.
Fixation du prix du loyer d'un bien immobilier rénové
Un bâtiment rénové se situe dans une zone grise entre le neuf et l’ancien, mais tout dépend du type et de l’impact économique de la rénovation.
Approche par réévaluation du standing technique
S’il y a eu une rénovation lourde (réfection complète des sols, murs, réseaux, toiture, ajout d’équipements), on peut réévaluer le bâtiment comme s’il était “remis à neuf partiel”, et donc lui appliquer un loyer équivalent à un bâtiment neuf, pondéré par l’année d’origine de la structure.
Méthode proposée : ajustement du loyer via un coefficient de rénovation
Loyer rénové =Loyer ancien×(1+Coef. rénovation)
- Si rénovation partielle (peinture, plomberie, sol uniquement) → coefficient = +5 à +10 %
- Si rénovation intermédiaire (réseaux refaits, sanitaires, cuisine, façade) → +10 à +20 %
- Si rénovation lourde (structure, équipements majeurs, isolation, toiture) → +20 à +30 %, voire retour au loyer du neuf
Proposition de classification complémentaire
État du bâtiment | Durée | Niveau de standing | Incidence sur le loyer |
Neuf | 0 à 5 ans | Conforme au standard initial | Loyer plein |
Ancien non rénové | > 5 ans | Dégradation naturelle | Loyer avec décote |
Rénové partiellement | > 5 ans | Amélioration visuelle/fonctionnelle | +5 à +10 % |
Rénové lourdement | > 5 ans | Remise au standard du neuf | Loyer équivalent au neuf |
À terme, l’objectif est clair : bâtir un référentiel national des loyers fondé sur des standards techniques et économiques, par zone et par standing. Ce référentiel deviendrait un outil d’arbitrage pour les bailleurs, une garantie de transparence pour les locataires et une base de régulation pour les pouvoirs publics.
Dans un contexte urbain où la pression foncière s’intensifie et où les inégalités d’accès au logement s’aggravent, une telle réforme ne relève pas d’un luxe technique. Elle est une condition de viabilité du marché locatif et une exigence de justice urbaine.
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Ahmet Lo
Directeur AML Estate Intelligence