Esquisses de solutions pour une meilleure régulation du loyer au Sénégal
I) LA PROBLEMATIQUE DE LA RÉGULATION DU LOYER AU SÉNÉGAL
La problématique du loyer devient de plus en plus récurrente au Sénégal, en particulier dans les centres urbains où il est constaté une hausse constante des coûts du loyer des locaux à usage d’habitation, et ce, malgré les différentes mesures prises par l’ÉTAT pour juguler cette hausse.
De même au Sénégal, le loyer a toujours été régulé. La nette augmentation des loyers au sein du parc privé, particulièrement à Dakar, touche de plus en plus les Sénégalais dont l’effort financier pour se loger est grandissant à cause d’un marché immobilier locatif tendu. Au Sénégal, environ un tiers des habitants sont logés dans le parc locatif privé. La déconnexion progressive entre les loyers et l’évolution des revenus des ménages pousse les pouvoirs publics à réglementer le marché locatif en vue de garantir l’accès de tous à un logement abordable. De plus en plus utilisé au Sénégal, la baisse des loyers devient une mesure récurrente dès lors que le marché immobilier ou le parc de logement social ne permettent pas de répondre aux besoins des ménages modestes et des classes moyennes.
Depuis 1966, l’ÉTAT du Sénégal s’est intéressé à la question des loyers, à travers le Code des Obligations civiles et commerciales. Il est revenu à la charge en 1977 notamment avec la loi no 77-61 du 26 mai 1977 et la loi no 77-62 du 26 mai 1977 fixant à titre transitoire, le montant des loyers à usage d’habitation. En effet, c’est précisément à partir de ces textes de base que les pouvoirs publics se sont appuyés sur trois leviers juridiques pour endiguer la poussée inflationniste des prix du loyer.
Il s’agit d’abord de la détermination du calcul du montant des loyers à usage d’habitation dont l’arrimage à l’article 572 du Code des Obligations civiles et commerciales a fait poindre divers textes réglementaires notamment le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation, modifié par le décret n° 81-609 du 17 juin 1981, le décret n° 81-683 du 7 juillet 1981 fixant les éléments de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation, et enfin le décret n° 2014-144 du 5 février 2014 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation.
La mise en place de ce dispositif réglementaire a permis une modification progressive des méthodes de calcul du loyer entrainant ainsi un passage de l’institution de taux fixes adossés à la valeur de l’immeuble, au taux modulés afin d’assurer à tout le moins, l’équilibre entre la réalité du marché immobilier et les coûts du loyer. En réalité, pour déterminer le montant du loyer à partir de la valeur de l’immeuble, le législateur a modifié à plusieurs reprises les taux applicables en l’espèce qui étaient de 8% avant d’être portés à 10, puis 12 et 14% modulé en 2014 ; avec un maximum de 18% pour les immeubles de haut standing pour maintenir et développer les investissements immobiliers sur le territoire national.
Ensuite, dans le but de dissuader les bailleurs malveillants, le législateur a fait adopter la loi n° 81-21 du 25 janvier 1981 et le décret d’application n° 81-1034 du 26 octobre 1981, pour réprimer la hausse illicite des loyers à usage d’habitation.
En outre, après avoir fixé les méthodes de calcul du loyer et sanctionner les pratiques abusives de certains bailleurs, le législateur s’est employé à la détermination des barèmes afin de réduire le déphasage chronique entre les coûts des loyers et la vérité des prix dans le marché immobilier locatif. C’est ainsi que le décret n° 81-683 précité fut modifié par le décret n° 88-74 du 18 janvier 1988 qui fixait le barème du prix des terrains nus et des terrains bâtis. Ce dernier texte a été finalement abrogé par le décret no 2010-439 qui n’a pas fait l’objet de réforme jusque-là alors que les barèmes devraient être révisés tous les deux (2) ans conformément au décret no 77-527 susmentionné qui avait institué des commissions régionales chargées de l’évaluation de la valeur des immeubles dans chaque région.
Malgré cette intense activité normative, la question du loyer est restée une préoccupation majeure des pouvoirs publics en raison surtout de l’inadaptation du système de la surface corrigée aux réalités sociologiques ainsi que de l’insuffisante protection des locataires souvent confrontés aux lourdeurs des procédures judiciaires.
C’est ainsi qu’en 2014, le législateur sénégalais réaffirme son ambition d’encadrer les loyers à usage d’habitation par l’adoption de la loi no 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés sur la base de la surface corrigée. Néanmoins, la mise en œuvre de cette loi n’a pas permis d’atteindre les objectifs de baisse escomptés en raison, entre autres, de l’absence d’un organe de suivi et de régulation. C’est ainsi qu’à l’issue de larges concertations ayant regroupé l’ensemble des acteurs du secteur, le Gouvernement a opté pour la mise en place d’une commission nationale de régulation du loyer.
La création de la Commission nationale de Régulation du Loyer des Locaux à usage d’habitation communément appelée CONAREL répond à une demande sociale pressante c’est-à-dire celle de soulager les ménages du « fardeau » que représentent les charges de location.
La CONAREL présente en elle-même des difficultés d’ordre systémique et épistémologique.
D’ordre systémique, la CONAREL, dans le corps du décret l’ayant institué regorge de limites qui entravent l’atteinte des objectifs de régulation du loyer en ce sens que son objet est calfeutré non seulement sur la simple possibilité de concilier les parties en conflits (locataire, bailleur ou agence immobilière), ne disposant d’aucune base de données sur la cartographie des biens mis en location, mais aussi n’ayant aucun moyen de contrainte vis-à-vis des bailleurs malveillants car dans la nouvelle réforme aucune mesure coercitive n’a été prévue à leur endroit. Ce qui constitue une aberration juridique certaine car en droit une norme dépourvue de sanction demeure inefficace. C’est la raison pour laquelle, la CONAREL ne peut à l’État actuel, assurer une bonne régulation du marché immobilier locatif.
D’un point de vue épistémologique, la nouvelle réforme sur le loyer n’a pas intégré les réels paramètres qui gangrènent le secteur du loyer à savoir, la désuétude des textes existants, la cherté des rapports d’expertise immobilier, l’absence de contrôle et de maitrise des activités des agences immobilières. Cette réforme est venue juste se greffer à un ensemble de textes anachroniques sans pour autant apporter les correctifs nécessaires pour une bonne régulation.
En l’espèce, la CONAREL, n’a pas intégré la commission d’évaluation dans son corpus juridique. Cet organe a pour rôle majeur d’évaluer la valeur des terrains dans chaque localité et d’en fixer les prix au mètre carré pour aider les experts immobiliers agréés à calculer la surface corrigée sur une base légale et non factice. Ce calcul va permettre au propriétaire d’une maison peu importe la catégorie (à l’exception des maisons en cases, paillotes) de fixer légalement le prix du loyer et éviter un tant soit peu cette surenchère sur le marché immobilier locatif.
L’application des mesures de baisse a permis de constater que dans le secteur de l’expertise immobilière, beaucoup de personnes se prévalent illégalement du titre d’« expert immobilier » alors qu’elles ne sont pas inscrites dans le tableau de l’ordre national des experts du Sénégal (ONES).
En outre tout objectif de régulation d’un secteur donné nécessite une étude du secteur au préalable avant de décider péremptoirement d’une quelconque baisse du loyer dont le but n’est que la recherche d’un effet d’annonce politique.
Les conséquences de la léthargie de l’administration des domaines dans la régulation du loyer
D’une part, la compétence de l’Administration fiscale dans le cadre du contrôle des loyers est consacrée par les textes en vigueur applicables en matière de loyer. Il s’agit en l’espèce des décrets n°77-527 du 23 juin 1977, relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation, n°81-683 du 7 juillet 1981 portant fixation des éléments de calcul du loyer et n°81-609 du 17 juin 1981 portant modification de l’article 12 du décret 77-527 précité.
Ces textes ont donné au Directeur des domaines ou à ses représentants la compétence en matière de contrôle des loyers avec la possibilité d’intervenir auprès du juge des loyers pour faire calculer la valeur locative légale de tout local a usage d’habitation donnée à bail.
D’autre part, la compétence de l’Administration du Commerce en matière de contrôle des loyers n’est pas consacrée de manière expresse par les textes en vigueur.
Ainsi, pour asseoir le dispositif global de répression, la loi n°81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation et son décret d’application n° 81-1034 du 26 octobre 1981, furent adoptés. De même, l’institution des cellules de contrôle des loyers dans les centres de services fiscaux par la circulaire n°000178/MEFIDGID du 18 avril 2008 permit de définir les modalités d’intervention de l’administration fiscale en matière de contrôle des loyers.
Toutefois, l’inapplication de ces textes précipita leur désuétude, l’effritement de la compétence de l’Administration fiscale dans le contrôle des loyers et provoqua enfin la hausse illicite des loyers dans le marché immobilier locatif au Sénégal.
D’autre part, la compétence de l’Administration du Commerce en matière de contrôle des loyers n’est pas consacrée de manière expresse par les textes en vigueur. Ce qui pose alors le problème de la légalité de l’intervention de l’Administration du commerce dans le contrôle de l’application des baisses des prix du loyer. Depuis 2014, l’Administration du Commerce intervient en matière de loyer pour réguler les tarifs appliqués dans le marché immobilier locatif. En effet, la raison principale de cette intervention est dictée non seulement par la hausse vertigineuse des prix du loyer mais aussi par le contexte de flambée des prix des produits et services qui secoue l’économie mondiale.
Il faut aussi magnifier le travail acharné effectué par les commissaires aux enquêtes économiques lors des concertations de 2022 sur la lutte contre la vie chère et qui a permis d’avoir une nouvelle baisse du loyer ainsi que la création de la CONAREL. Cependant, ces agents devaient être accompagnés et soutenus par l’ÉTAT car malgré les limites de cette structure, ils ont réussi à mettre en place cet organe qu’attendaient tous les acteurs du secteur immobilier depuis très longtemps. Plusieurs milliers de dossiers ont été pris en compte par ces agents en plus d’effectuer le tour du Sénégal pour installer toutes les commissions régionales.
Au dessaisissement de la DGID, La Direction du commerce s’est employée depuis 2014 et ceci, malgré les difficultés inhérentes au secteur du loyer, à accompagner l’ÉTAT dans sa politique de préservation du pouvoir d’achat des ménages.
Sur la question de la réglementation des agences immobilières
Les activités immobilières ainsi que des frais d'agence était encadrée par une loi de base de 1982 portant sur les activités de promotion et de gestion immobilière. Ce dispositif en lui-même, pour son application effective, comportait deux textes d'application notamment un décret de 1983 et un arrêté de 1987.
Cependant avec la libéralisation de l'économie en 1994, fut adoptée la loi n°94-69 du 22 août 1994 fixant le régime d'exercice des activités économiques. Cette loi, tout en réaffirmant le principe de la liberté d'exercice des activités économiques, abrogea en son article 9 et de manière expresse la loi de 1982 sus-évoquée. Ainsi, l'exercice des activités de gestion, de promotion et d'intermédiation en matière immobilière demeura soumis qu'aux simples formalités d'inscription au RCCM et d'identification fiscale. Les frais de gestion et de promotion en matière immobilière fixés par l'arrêté de 1987 furent aussi abrogés du fait la suppression de la loi de base de 1982. Car, en matière légistique, une norme ne peut pas survivre à l'abrogation de la norme pour laquelle elle a été adoptée.
Par conséquent, la loi de 1994 a créé un vide juridique dans la réglementation des activités immobilières. Rien n'interdit de prendre un décret ou même un arrêté pour réglementer ce secteur car l'OHADA donne libre cours aux États-parties de fixer les conditionnalités d'exercice des activités immobilières.
Sur la question du rééquilibrage entre l’offre de logement et la demande sociale.
L’État était déjà à pied d’œuvre sur la question avec le programme des 100 milles logements qui réserve 50% des assiettes foncières aux couches vulnérables, 20% à la diaspora et 30% aux sénégalais bénéficiant de revenus supérieurs. Ce programme constitue non seulement une gageure, un pari pour faciliter l’accès au logement à des prix compétitifs, mais aussi, il permet de résorber le profond déséquilibre qui existe entre l’offre et la demande en location.
Mais les lenteurs administratives notées dans ce programme ont frustré plus d’un et commande d’apporter des solutions rapides pour livrer ces maisons que les populations locales attendent avec impatience.
L’absence d’une véritable politique foncière (foncier, urbanisme et immobilier) en tenant compte de l’augmentation de la population, de l’exode rural, de l’arrivée massive d’expatriés de la diaspora ou de la sous-région, de l’aménagement du territoire et de la mobilité urbaine et interurbaine, plombe aussi tous les efforts fournis par l’ÉTAT pour soulager la souffrance des populations locales.
Sur la faible représentation des ordres professionnels dans les régions
L’absence de certains ordres professionnels (architectes, avocats, huissiers, expert géomètre) dans les régions laisse la place à des acteurs non habilitées se prévalant faussement du titre d’« expert », à s’adonner à des pratiques non conformes à la réglementation locative. C’est le cas de certains corps professionnels ou d’« experts » désignés par le juge qui ne sont pas reconnus par l’ordre national des experts immobiliers. Durant l’application de la nouvelle baisse sur le loyer, la CONAREL a dû rejeter plusieurs surfaces corrigées présentées à l’appui par des bailleurs prétextant ne pas être concernés par la nouvelle baisse sur le loyer au motif que les personnes ayant effectuées ces évaluations immobilières n’étaient pas des experts inscrits à la liste des membres de l’ordre national des experts (ONES) et ne visaient pas les prix des terrains ou barèmes fixés par le décret 2010-439 mais plutôt les tarifs du marché.
La conséquence en est que les surfaces corrigées contiennent des informations fausses en présentant des prix locatifs très élevés et hors de portée de la bourse de la majorité des locataires.
Également, la pratique des expulsions locatives a démontré que certains huissiers notifient des actes de procédure en parfaite violation avec les dispositions du code des obligations civiles et commerciales (Congés avec des motifs de transformation ou rénovation, congés notifiés sous une période non triennale etc.)
Sur la question des locations saisonnières (locations des maisons, appartements ou studios meublés)
Les locations saisonnières constituent une catégorie juridique particulière de bail qui déroge au droit commun des contrats de location à usage d’habitation. En effet, ce régime dérogatoire est organisé par l’article 575 du Code des Obligations civiles et commerciales qui aménage aux parties, un espace de liberté contractuelle aussi bien dans la conclusion que dans l’exécution du contrat.
Les locations meublées peuvent coûter jusqu’à 30% de plus que les locations non meublées.
Au Sénégal, le marché immobilier connaît une évolution significative ces dernières années, et la location meublée se positionne comme une option de plus en plus prisée par les locataires. Que ce soit pour des séjours de courte ou longue durée, ce type de location présente de nombreux avantages. En effet, les locations meublées peuvent coûter jusqu’à 30% de plus que les locations non meublées. Plusieurs facteurs peuvent influencer ce montant, notamment le standing de l’immobilier, la qualité des équipements fournis et l’emplacement du bien.
Néanmoins, cette situation a engendré des difficultés notoires dans le marché immobilier locatif des locations meublées. En réalité, le régime juridique des locations saisonnières exclue non seulement le juge des référés, protagoniste principal dans la résiliation du contrat de bail à usage d’habitation, mais aussi et surtout, entrave l’exercice de l’activité des officiers publics en l’occurrence les huissiers de justice, dans l’exécution de leurs actes extrajudiciaires.
En l’espèce, pour les huissiers de justice, les locations saisonnières posent problème en raison justement de leur régime juridique inadapté. En effet, insérer dans les dispositions du COCC relatives au bail à usage d’habitation à durée déterminée, sa spécificité n’a été prise en compte qu’au regard de sa durée. Le dénouement amiable ou judiciaire de cette catégorie juridique reste pour autant soumis aux dispositions de droit commun : le congé et la résiliation judiciaire qui, eux aussi, sont d’ordre public.
En outre, le législateur dans sa démarche réformiste, a aussi calqué sur une période trimestrielle et à la charge des parties, la résiliation des contrats de locations saisonnières alors que celles-ci peuvent être conclues sur une base journalière ou hebdomadaire.
Comment donc, dans les conditions de délai et de procédure propres au droit commun et, en l’absence de législation ou réglementation spécifique tendant à la mise en œuvre de l’ordonnance d’expulsion, consacrer un droit qui prendrait suffisamment compte le particularisme de la location saisonnière, notamment le temps et autres difficultés y afférentes ? Peut-on « emprunter » les délais rapides utilisés par le code de procédure civile en matière de référé ?
A titre illustratif : Est-il soutenable de prévoir un délai de mise en demeure de trente (30) jours pour un bail dont la durée est de huit (08) jours ? Est-il pertinent d’appliquer un congé de six (6) mois y compris les motifs du congé au bail saisonnier ? A quelles heures expulser ? Que faire des effets personnels trouvés à l’intérieur des lieux loués, qui de surcroit sont toujours meublés ? Quid si le locataire disparait avec les meubles ou les dégrade ? Comment se prémunir contre de tels risques et surtout du risque d’impayé ? A notre avis, seul le juge des loyers pourra trancher cette question épineuse en utilisant son pouvoir discrétionnaire en cas de carence de la loi.
Autre constat dans le secteur des locations ou appartements meublés, est l’éclosion de trafic de tout genre (trafic de drogue, de visa, de blanchiment d’argent ou même de de prostitution déguisée). Les pouvoirs publics doivent davantage renforcer le contrôle de l’identité ainsi que de l’activité exercées par les occupants de ces locations qui souvent sont des étrangers.
Voilà en condensé les problématiques que soulèvent, les locations saisonnières dont l’assiette, en constante évolution, couvre notamment, à notre avis, hôtels, villas ou chambres meublées.
Il résulte de ce qui précède que bien que variant du bail à usage d’habitation à durée déterminée, la location saisonnière ou de séjour limité, par nature de courte durée constitue une catégorie juridique suffisamment particulière qui doit justifier d’un encadrement juridique et judiciaire particulier prenant en compte ses spécificités au regard notamment de l’impact économique et financier qu’il induit.
Ainsi, l’incomplétude de ce dispositif juridique, commande d’apporter des correctifs nécessaires à l’amélioration des conditions de résiliation de cette catégorie spéciale de bail à usage d’habitation.
Baisser ex nihilo les tarifs du loyer sans une étude préalable des paramètres qui l’entourent, annihile les efforts de l’ÉTAT en matière de régulation.
II) PROPOSITIONS DE SOLUTIONS POUR UNE MEILLEURE REGULATION DU LOYER AU SENEGAL
Le loyer ne se régule pas à travers l’édiction répétitive de mesures de baisse comme dans le cas de l’encadrement de la flambée des prix des denrées de première nécessité. En effet, le loyer constitue un « produit fini » d’un ensemble de paramètre qui intègre la gestion foncière, urbanistique et immobilière et fait intervenir des acteurs (cadastre, urbanisme, architectes, experts-géomètres, agents immobiliers etc…) qui concourent à sa régulation. Il ne doit pas s’agir d’une entreprise cavalière ou encore moins la recherche d’un effet d’annonce, mais la régulation du loyer doit intégrer un tournant décisif qui marque la volonté de l’ÉTAT du Sénégal d’abréger la souffrance des ménages dont la location grève leur pouvoir d’achat.
C’est pourquoi, baisser ex nihilo les tarifs du loyer sans une étude préalable des paramètres qui l’entourent, annihile les efforts de l’ÉTAT en matière de régulation.
Pour avoir les coudées franches dans le secteur du loyer, l’ÉTAT doit prendre en compte l’ensemble des paramètres qui participent à la fixation du loyer. Il s’agira d’abord de redynamiser les textes existants en réactualisant la commission nationale des opérations immobilières avec les commissions régionales chargées de l’évaluation de la valeur des biens immobiliers dans chaque région. La CONAREL, doit de ce fait, être restructurée à l’image de cette commission nationale pour mieux réguler le secteur. Car telle que conçue, la CONAREL ne pourra atteindre ses objectifs. Ainsi, au-delà du rôle majeur joué par la commission d’évaluation, la CONAREL, pourra s’adjoindre d’autres compétences comme la régulation des activités immobilières en délivrant non seulement des autorisations préalables et des cartes professionnelles pour l’exercice des activités de gestion et d’intermédiation immobilière mais aussi en encadrant l’activité des professionnels du secteur immobilier qui devront se conformer à celte nouvelle réglementation. Ceci permettra un assainissement du secteur immobilier.
La CONAREL, peut s’employer dans la digitalisation de l’information juridique sur le loyer en mettant en place une plateforme permettant de fournir toutes les données sur les prix du loyer dans chaque zone, de vulgariser les textes sur le loyer etc.
Pour obtenir un plus grand nombre de contrats enregistrés, l’ÉTAT, peut baisser les frais d’enregistrements des contrats de locations à usage d’habitation en passant à un taux forfaitaire de 5000 FCFA pour les contrats dont le montant maximal est de 200 000 FCFA et une partie proportionnelle de 1% sur le loyer annuel, pour les autres contrats.
Il peut assurer l’aménagement de logements abordables en dotant aux promoteurs publics comme la SICAP, la SNHLM ou la Caisse de dépôt et de consignations de fonciers, alloués gratuitement. Aussi, le développement d’un partenariat public-privé à destination d’un parc locatif social constitue une sinécure pour disposer d’une offre de logement bon marché avec des conditions juridiques et fiscales favorables pour les investisseurs.
En outre, il faut constater que le déficit en logements au Sénégal est estimé à 325 milles unités avec une augmentation annuelle de 12 milles unités. Cela résulte de la croissance démographique (2,9%), de l'urbanisation rapide et des défis liés à la mise en œuvre de programmes de logements abordables. La production de logements est estimée à 5 milles unités par an, soit 7milles unités de moins que ce qui est nécessaire pour compenser le déficit annuel de 12 milles unités. L'offre de logements est insuffisante dans les quartiers informels qui sont densément peuplés avec 21% de la population qui vit dans la région de Dakar (ANSD).
En 2019, le Sénégal a lancé un programme de 100 000 logements par l'intermédiaire de la MULHP, comprenant 50% de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 30 % de logements haut standing. Plusieurs institutions ont été créées pour soutenir le programme, telles que la Société d’Aménagement Foncier et de Rénovation Urbaine (SAFRU) et le Fonds pour l’Habitat Social (FHS). En 2023, 1 700 logements sont en construction et 26 accords ont été signés avec des promoteurs privés, publics et internationaux ainsi que des coopératives d'habitat. L'accès au financement immobilier est l'objectif principal du programme des 100 000 logements ; il aide les ménages ayant un faible revenu avec un plafond de revenu de 450 000 FCFA, car ces ménages sont généralement exclus des systèmes bancaires en raison du manque de garanties suffisantes.
Afin de rééquilibrer la disparité entre l’offre de logements et la demande sociale et augmenter l’offre du parc locatif social dans le marché immobilier locatif, des mesures juridiques et fiscales incitatives et favorables peuvent être aménagées pour certaines institutions comme la caisse de dépôt et de consignation, la caisse de sécurité sociale, l’IPRESS et les compagnies d’assurance au lieu de mettre en place des structures juridiques parallèles.
Dans le cadre de la facilitation de l’accès au logement, l’ÉTAT, peut mettre également en place, une société d’hypothèque financée à des taux concessionnels destinés au financement de la promotion de l’habitat social locatif à des taux préférentiels. Enfin, la création d’un fonds public d’aide au logement sera d’un atout non négligeable pour obtenir des loyers modérés pour les couches vulnérables.
Dans le domaine du financement locatif, KAJOL Capital est un organisme qui permet aux familles de devenir propriétaires en louant pendant au maximum 12 ans, à un loyer mensuel de moins de 85 000 FCFA. Ce montant équivaut au loyer d'un F1 dans la capitale. Les bénéficiaires de ce programme sont les employés dans le secteur formel et informel, les travailleurs indépendants et la diaspora. Ce programme innovant est le fruit d'un partenariat avec le Fonds de l’Habitat Social, qui garantira les paiements mensuels pendant 15 mois par logement. La phase pilote commencera fin 2023 (4 promoteurs, 500 logements) et sera soutenue par un service dédié de gestion de la location. De plus, le FONGIP, par l'intermédiaire du Fonds De Garantie pour l'Accès au Logement (FOGALOG), garantira les prêts aux ménages non bancarisés auprès des institutions financières et de microfinance.
Outre les mécanismes de financement bancaire, et les organisations publiques et privées récemment créées dans le cadre du programme des 100 000 logements, la pratique de l'épargne communautaire à travers les tontines immobilières contribue à financer la plupart des logements construits de manière progressive et auto-constructive. Les organisations de la société civile ont des initiatives innovantes avec des résultats significatifs, telles que la Fédération Sénégalaise des Habitants (FSH), avec le soutien d'URBASEN et d'URBAMONDE, en mettant place un fonds de roulement pour faciliter l’accès au logement. En 2023, le volume du fonds de roulement est estimé à plus de 655 millions de FCFA.
En définitive, le succès de cette réforme passera forcément par une appréciation globale des préoccupations de tous les acteurs. A notre humble avis, seule une approche inclusive nous permettra de modéliser un mode opératoire efficace et s’inscrivant dans la durée. La base de données des notaires et des agences immobilières permettra d'étudier conjointement le marché immobilier neuf et le marché immobilier ancien : niveau des prix immobiliers, évolution des prix et caractéristiques des logements vendus (nombre de pièces, surface habitable, présence de parkings).). La différence de prix entre l’immobilier neuf et ancien peut être forte au sein des grandes villes (Exemple : Dakar-Thiès- Saint louis- Kaolack. etc.) Puis selon les surfaces et la raréfaction du foncier, l’écart devient même abyssal. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les prix de logements nouvellement construits à ceux des maisons à vendre dans les vieux quartiers.
En effet nous estimons que dans un souci d'efficacité et pour éviter les errements connus dans la mise en œuvre de la loi de 2014, il sera judicieux pour la CONAREL dans sa mission de régulation du secteur locatif, d’appréhender la problématique de la régulation du secteur immobilier locatif aussi bien sous l’angle de la consommation que sous celui de l’investissement. Car, si un tel effort d'adaptation de la réglementation aux réalités spécifiques du secteur n'est pas fait, on serait tenté de réduire la problématique à la seule réticence des propriétaires d'appliquer une loi qui leur est défavorable et de nous installer dans une dynamique exclusivement répressive.
En conclusion on peut retenir qu’il est aujourd’hui possible pour la CONAREL de redéfinir une politique d’encadrement du loyer et de régulation du marché immobilier locatif sénégalais tenant compte à la fois de la nécessité de soulager la souffrance des ménages sénégalais et de maintenir un niveau suffisant de production de logements à usage locatifs et éviter ainsi les risques d’une pénurie qui risquerait d’entrainer une flambée des loyers.
--
Papa Djibril Diakhaté
Commissaire aux Enquêtes Economiques,
Juriste immobilier et Doctorant en Droit