Transactions Immobilières : Et si la Blockchain était une solution ?
Dans le tissu complexe de la gestion foncière au Sénégal, les cas de Mbour VI, Ndingler, et Ngor se distinguent comme autant de symboles des dysfonctionnements qui minent le secteur. Ces localités incarnent les multiples facettes d'un problème foncier marqué par l'incertitude des titres de propriété, les conflits d'usage et l'insécurité juridique, dressant ainsi un tableau préoccupant de la situation foncière. Face à ces défis, la nécessité d'explorer des voies innovantes pour une gouvernance foncière améliorée se fait impérieuse. Parmi ces pistes, la blockchain émerge avec force, offrant un potentiel de rupture et de rénovation dans la manière d'aborder la sécurisation des droits fonciers et la transparence des transactions.
Comment cela fonctionne ?
La blockchain se présente comme un mécanisme de conservation et d'échange d'informations qui se distingue par sa transparence et sa sécurité, opérant de manière décentralisée, sans l'interférence d'une autorité centrale. Cette technologie crée un registre accumulant l'ensemble des transactions réalisées par ses participants depuis son origine, assurant ainsi une traçabilité et une distribution sans faille : le registre est partagé directement entre les participants, éliminant le besoin d'intermédiaires et permettant à chacun de contrôler la fiabilité des données enregistrées.
Un moyen pour réduire l’opacité du marché au Sénégal ?
Dans un marché foncier composé de plus de 90% de délibérations contre 158 000 titres fonciers, la question de la transparence des transactions demeure un défi majeur pour l’État du Sénégal surtout avec un grand volume de terres non immatriculées. Le Domaine National est divisé en 4 zones distinctes : les zones urbaines, les zones pionnières les zones classées et les zones de terroir. L'application de la législation sur le domaine national s'est heurtée à de multiples obstacles, notamment en raison de l'absence de finalisation de son processus de mise en œuvre) et du fait qu'elle n'a pas été pleinement embrassée par les communautés locales. Ces dernières ont vu leurs droits traditionnels se transformer en un simple droit d'usage, susceptible d'être révoqué si la terre n'était pas exploitée. Avec l'adoption des lois de décentralisation en 1972 et 1996, la responsabilité de la gestion foncière des zones traditionnelles a été attribuée aux communautés rurales (aujourd'hui désignées sous le nom de communes rurales), des entités locales regroupant plusieurs villages. Cependant, ces collectivités se sont trouvées dans l'incapacité réelle d'assumer cette gestion faute de ressources suffisantes. En conséquence, la gestion traditionnelle des terres a continué de prévaloir dans la plupart des zones au Sénégal, bénéficiant d'une acceptation tacite de la part des autorités administratives et des représentants locaux.
En analysant les pratiques de la Suède où le service national du cadastre l’utilise pour l’enregistrement des titres de propriété ou encore le Rwanda avec l’application web Ubutaka App conçu pour les gestionnaires fonciers dans le but d'accroître l'efficacité et la sécurité des transactions, la blockchain peut constituer un important pas vers la digitalisation complète du cadastre sénégalais et un gain de temps considérable dans les opérations transactionnels pour les parties prenantes.
Contrats intelligents et publics
Dans le marché immobilier, l'application de la blockchain se concentre essentiellement sur la vérification et l'authentification des contrats, ainsi que sur la sécurisation des échanges et des transactions. Cette technologie offre une plateforme publique où toutes les transactions enregistrées deviennent accessibles à un public global, sans restriction. Cette transparence totale élimine tout voile d'opacité, fournissant un avantage majeur pour l'exécution des contrats grâce à la capacité de suivre les données de manière fiable et d'assurer l'authenticité des informations.
Une alternative pour lutter contre la fraude et la corruption
Le rapport 2022 de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières indique qu’une opération d’acquisition immobilière s’est opérée par le biais du canal de la cryptomonnaie impliquant des intermédiaires. C’est une des voies de blanchiment que les autorités sénégalaises surveillent pour intenter par la suite des actions en justice.
A la lumière de ces faits, l'intégration de la blockchain dans les transactions immobilières promet une transformation majeure par le réduction des intermédiaires, accélérant ainsi les échanges en éliminant les vérifications manuelles qui souvent retardent les clôtures. Les transactions pourraient être enregistrées instantanément, garantissant une validation sécurisée et réduisant les risques d'erreurs et de fraudes.
De plus, la transparence inhérente à la blockchain offrirait une visibilité inégalée sur l'historique des biens. Les acheteurs et les vendeurs pourraient accéder à des données fiables, simplifiant le processus et les vérifications requises. Cette transparence renforcerait la confiance entre les parties, accélérant les transactions et réduisant potentiellement les coûts associés.
Les professionnels du secteur de l'immobilier qui adoptent la blockchain se démarqueraient en offrant des services plus rapides et sécurisés. Cette avancée technologique favoriserait une plus grande fluidité du marché, bénéficiant aux agents immobiliers, aux acheteurs et aux vendeurs grâce à des processus optimisés.
Défis Techniques
Les défis techniques liés à l'implémentation de la blockchain dans le domaine foncier, en particulier, englobent plusieurs aspects cruciaux tels que l'échelle, la performance et l'interopérabilité. La question de l'échelle se pose en termes de capacité de la blockchain à gérer un volume considérable de transactions et d'enregistrements fonciers de manière efficace et sécurisée. Cette capacité est indispensable pour assurer la viabilité de la technologie dans des contextes à grande échelle. La performance, quant à elle, réfère à la rapidité et à l'efficacité avec lesquelles les transactions et les vérifications sont exécutées, un facteur déterminant dans la fluidité des échanges immobiliers et la réduction des délais de transaction. L'interopérabilité, enfin, concerne la capacité des différentes chaînes de blocs à communiquer entre elles, permettant ainsi un échange de données fluide et sécurisé à travers divers systèmes et juridictions, une nécessité absolue pour une intégration globale de la blockchain dans le secteur foncier.
Défis réglementaires et légaux
L'intégration de la blockchain dans le secteur immobilier se heurte également à d'importants défis réglementaires et légaux. Il s'agit principalement de l'adaptation du cadre législatif existant pour accommoder cette nouvelle technologie. Les lois et réglementations actuelles au Sénégal ne prennent pas en compte les spécificités de la blockchain, telles que la décentralisation et l'immuabilité des données. Si les nouvelles stratégiques du numérique du Sénégal sont orientés vers la digitalisation à grande échelle des différents secteurs économiques, une révision législative s'impose pour créer un environnement juridique qui reconnaît et régule les transactions et les enregistrements fonciers sur la blockchain, garantissant ainsi la légalité, la sécurité juridique et la protection des parties prenantes.
Résistance au changement
La résistance au changement constitue un autre défi majeur dans son adoption. Les acteurs traditionnels du secteur immobilier, habitués aux méthodes conventionnelles de transaction et de gestion foncière, peuvent voir dans cette nouvelle technologie une menace à leurs pratiques établies. De plus, le manque de formation et de sensibilisation à cette technologie peut entraver son acceptation et son intégration. Il est donc crucial de mettre en place des programmes de formation et de sensibilisation destinés aux professionnels du secteur, afin de les familiariser avec les avantages et le fonctionnement de la blockchain, et de démontrer comment celle-ci peut coexister avec les systèmes traditionnels en apportant une valeur ajoutée.
Pour le Sénégal , il n’y aucune raison de s’emballer en ce sens qu’il y a d’abord de gros chantiers à engager pour réorganiser le marché foncier et ce, par la révision de la Loi sur le Domaine National.
-- La Rédaction Magazine Immo SN --